Et si la blessure était une opportunité ?
C’est ainsi que j’ai voulu voir ce qui m’est arrivé le 1er décembre, dans l’ambiance chaleureuse et bouillonnante du premier tournoi de l’année à Dubaï. Après une entame bien négociée contre les Anglais, nous voilà tous essoufflés, fatigués mais motivés à l’idée de pouvoir battre les médaillés d’argent des Jeux Olympiques de Rio 2016. Sans retenue, nous nous sommes battus pour les faire lâcher, jusqu’au moment où c’était au tour de mon genou de flancher. Une blessure qui n’avait rien de spectaculaire, si ce n’est qu’elle m’a précipitée en dehors du terrain à la mi-temps. Dans l’incapacité complète de reprendre le jeu, me voilà épaulé par deux coéquipiers, une vessie autour du genou et en marche pour sortir du terrain.
A peine le temps de croiser le regard de quelques supporters enivrés par la chaleur et certainement quelques bières, je m’enfonçais dans le couloir qui m’amenait à notre vestiaire. Cette marche n’a duré que quelques instants, mais déjà, elle m’a permit de faire face à ma situation. S’agissait-il d’un coup, d’une grosse blessure ? Que signifiait la laxité qui me faisait perdre un contrôle quasi total de mon genou ? Je n’avais aucun point de comparaison, si ce n’est une entorse à la cheville quelques années plus tôt. J’étais donc perdu dans ce couloir, au milieu des joueurs d’autres équipes qui s’apprêtaient à disputer un match. Moi tournant le dos au terrain, eux plein d’énergies se préparant à rentrer dans la fournaise du Dubaï 7’s. Dans ce bouillon d’émotions, j’arrivais enfin au vestiaire, où la priorité restait au diagnostic. S’ensuivait donc un test par le docteur, qui a prit la décision de m’offrir un aller sans retour pour les urgences de l’hôpital de Dubaï. Avant de quitter le vestiaire, j’ai tout de même pris un carnet et un crayon.
Dès mon arrivé à l’hôpital, les docteurs m’ont montré le fauteuil roulant sur lequel m’asseoir. Je leurs expliquaient en anglais que je pouvais marcher. Ils ont insisté, et pour la seconde fois de la journée je flanchais. Cette fois-ci : pour accepter ma blessure. Après avoir vu 2 généralistes, un radiologue et un mur blanc face auquel j’étais garé (oublié ?) pendant trente minutes, me voici finalement au calme en attendant les résultats de l’IRM. Hormis mon voisin de chambre qui ronflait, personne ne m’a embêté pendant plus d’une heure. J’ai donc saisi l’occasion de prendre mon crayon et mon carnet.
Ecrire, brouillonner, esquisser… voila une habitude prise depuis quelques temps pour m’aider à me rappeler de tous les détails qui me font avancer. Dans le rugby, cela peut se matérialiser par le compte rendu d’un tournoi où je fais mon auto-analyse de ce qui a marché et ce qui n’a pas marché. En prenant ce recul sur ma propre performance, je tente par tous les moyens de rationnaliser mes impressions en me demandant par exemple : pourquoi mon jeu après contact a été en dessous des attentes à ce tournoi ? Une fois identifié, je décortique ce ressenti pour faire émerger des points faibles à combler et arriver à des recommandations pratiques comme « renforcer mes doigts-poignets & analyser le jeu après contact des fidjiens ». Vient ensuite un travail personnel et approfondi, en vu d’aller chercher une performance meilleure sur cette thématique au tournoi suivant.
C’est donc dans cet état d’esprit que j’ai écrit mes premiers mots. L’objectif était de répondre à la problématique suivante: Comment optimiser mon temps de blessure ? Après avoir scanné attentivement mon quotidien d’entrainement sur les mois qui ont précédé, j’ai identifié des pistes d’améliorations sur lesquelles je n’avais encore pas pris le temps de travailler. Le renforcement des doigts en faisait partie, autant que le développement de ma dextérité. Pour remplir le premier objectif, je me suis équipé d’élastiques et me suis renseigné sur les exercices permettant de renforcer la musculature de ma main. Concernant le second objectif, il a fallu faire preuve d’un brin de créativité en se tournant vers le jonglage. A raison de plusieurs dizaine de minutes par jour de cette pratique, je me suis entraîné à passer les petites balles des centaines de fois entre mes mains. Tout en conservant un regard fixe au centre de celles-ci, qui me poussait à développer mon champ de vision périphérique. Lors de cette phase d’arrêt, j’ai également eu recours à la visualisation. Je me suis mis en scène, sur le terrain, en train de réaliser des gestuelles des plus simples au plus complexe. Forcer mon esprit à emmener mon corps dans un lieu de match pour revivre des situations : déjà vécus ou inventées, m’a permis de garder un lien étroit avec les sensations du rugby.
Après avoir écrit ces quelques objectifs sur mon carnet, et vu entre temps le docteur pour le diagnostic : entorse stade 2+ du ligament latéral interne, il était temps de flancher pour la troisième fois de la journée. Cette fois-ci : pour tourner la page de ma blessure, et entrevoir un avenir excitant, autour de tout ces challenges qui me permettront de faire de ma blessure une opportunité.